Bientôt libre

Ça y est, je suis normal. Enfin… comme tout le monde. Ou presque. Suffisamment pour sortir. Les médecins ont signé. Je leur ai raconté ce qu’ils attendaient, d’après leurs normes piochées dans leurs ouvrages, d’après mes souvenirs de gens normaux. Pas si évident que ça en a l’air, il n’en existe pas tant que ça.

Je n’ai pas dit que j’étais un ballon prêt à éclater, à la retrouver, où qu’elle se terre. Que j’aie tous les ingrédients pour la pister, je suis un chien, il suffit que je hume son odeur dans ma tête pour me mettre en chasse. Qui ça, elle ? Je ne sais pas. J’aime me raconter des histoires. Je suis un grand comédien, j’ai joué le rôle du malheureux qui reprend ses esprits, décontenancé, après une période de délire venu d’on ne sait quelle profondeur. Le reste, je le leur ai caché, je ne suis pas le fou qu’ils croient. Pourquoi leur ouvrir mon jardin secret, ils n’y ont pas leur place, je n’ai aucune envie de les y accueillir. C'est mon cocon, ma retraite, mon espace de rêve, que j’ai eu le tort de dévoiler, une seule fois.

Un jour je suis un cyclope échappé d’une grotte antique, le lendemain un aborigène qui suit les étoiles. Je suis le roi de Thalès, une Atlantide oubliée, au petit matin un assassin d’ombres, qui efface les mémoires. Je suis une cantatrice célèbre, une danseuse étoile, un lutin farceur, une entité venue d’ailleurs. Je suis la brume qui se lève sur les côtes islandaises, le vent qui érode les cimes, la neige écarlate sous un lever de soleil, la larme essuyée furtivement. Je suis tout ce que vous n’êtes pas, je suis tous ceux que je ne suis pas.

Je suis fou, mais sans cette folie, je serais mort de grisaille.


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