Brève rencontre

L’inconnu s’est approché de moi pour me demander l’heure et une cigarette. Il est beau, à ma façon : son regard fait écho et je m’y accroche. Les paysages déchiquetés m’ont toujours troublée. Le métro tarde, tant mieux, je ne sais que dire pour estomper cette ombre dansant au fond de ses yeux. Ou plutôt, je n’ose pas. Comment dévoiler le visage de sa déchirure ? Comment lancer des mots, ces images appauvries, quand on n’a aucun étalon pour mesurer leur portée sur l’autre ? Il ne parle pas, se contente de fumer à mes côtés. Attendant un geste ? Je jette un filin, une phrase toute simple, presque impersonnelle : « Vous allez bien ? ». Le ton de ma voix ne le trompe pas : son regard chavire, cherche un point où s’ancrer. Il hésite. Pourquoi est-ce si difficile de répondre « non », cette négation qui résonne comme une défaite ? Il n’a rien à craindre, je suis l’inconnue, celle devant qui il peut entrouvrir son armure, sans pudeur. Il m’écoute, me regarde, enfin. « Si je parlais, peut-être que je n’aurais pas envie que vous restiez cette inconnue », murmure-t-il. Il attend. Je demeure silencieuse, bouée flottant entre deux rivages. Un grondement lointain annonce l’arrivée du métro. Il s’éloigne doucement. Je chancelle légèrement, comme privée de béquille. Instinctivement, je le suis. Il se retourne, me dévisage, murmure une parole que je n’entends pas. J’avance vers lui. Le métro entre dans la station. Il me désigne quelque chose vers la droite. Je tourne la tête, cherche ce qu’il veut me montrer. Et j’entends les hurlements des voyageurs à quai, le crissement de freins brutal de la rame.

Je suis la dernière personne à qui il ait parlé, et je n’ai pas su le retenir.

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