1 : Ma mère

Ma mère, d’abord. Mon père dit souvent qu’elle devrait être sponsorisée par un Etat en guerre pour démoraliser l’armée adverse. Elle a peint le monde en noir une bonne fois pour toutes et le moindre événement positif est retourné comme une crêpe, des fois qu’elle risquerait de croire au bonheur. Avec elle, tu cherches pas : même au summum du nirvana, tu vas mal. Inutile de la contredire, elle a tous les indices. Qu’elle t’énumère avec tellement de conviction que tu finis par la croire et que tu rentres chez toi déprimé.

En ce moment, je n’ai pas de boulot. Forcément, elle en conclut que le suicide me guette à une échéance plus ou moins proche. Si je ne réponds pas à sa question journalière "comment ça va" par un "bien" enthousiaste, elle me passe au détecteur de mensonges. Dernière discussion en date au téléphone :

- Joe ? Comment ça va ?

- Bien, m’man.

- Oh, t’as une petite voix en disant ça.

- Mais non, m’man, ça va bien, je t’assure, mais je me réveille, là.

- Tu dors mal ?

Je ne sais pas comment elle fait. Elle enclenche une question et tu te retrouves piégé dans une spirale infernale, une sorte de circuit grand huit de l'interrogatoire à vitesse supersonique. J'ai beau agiter toutes les gousses d'ail, ça ne sert à rien. Généralement, elle finit victorieuse, et moi sur le carreau, rétamée pour le reste de la journée. Ma mère devrait être reconnue par les laboratoires pharmaceutiques comme un puissant dépresseur, comme le plus parfait des produits euthanasiants.


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