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10 :
Ma tante Gigi
Elle en est au moins à deux cent cinquante trois tentatives de suicide. Sa première dépression a été diagnostiquée à 33 ans, une dépression post-adolescence. Elle a enchaîné sur une dépression pré-ménopause à 35 et, depuis, même les plus grands mathématiciens de la famille ont renoncé à compter ses appels au secours. Que plus personne n’entend. L’abus de suicides tue toute crédibilité.
Dimanche dernier, juste après le déjeuner avec la tribu, le téléphone a sonné. J’étais à côté, j’ai décroché, puis colporté la nouvelle :
- Gigi s’est suicidée.
- Ah…, a dit mon père, plongé dans un dossier.
- Ah…, a dit mon frère, s’auscultant dans un miroir.
- Elle va finir par avoir un ulcère, à s’enfiler autant de médocs, a compati ma sœur aînée.
- Cette fois, elle s’est taillée les veines, ai-je précisé.
- Aïe, les cicatrices vont la déprimer, elle va regober des médocs aussi sec, a pronostiqué mon autre sœur.
- Qui est malade, a demandé ma mère, l’angoisse en bandoulière, en débarquant dans le salon ?
- Gigi, ont-ils tous bramé.
- Ah, a dit ma mère.
Avant d’ajouter :
- Ça fait 30 ans qu’on le sait, qu'est-ce qu’il y a de nouveau ?
- Elle est morte, ai-je annoncé.
Ils m’ont regardée, interloqués. Même mon père et mon frère avaient enfin décroché de leurs hobbies préférés.
- Elle s’est ratée, a demandé ma mère ?
- Comment elle a fait, depuis le temps qu’elle maîtrise la technique, a renchéri ma sœur aînée ?
- Elle n’y est pour rien : la plaie s’est infectée, ai-je répondu.
J’ai attendu quelques instants, puis j’ai ajouté :
- Mais nan, j’rigole.
- Arf, a ricané le chœur.
Except Mother.
- Ce n’est pas drôle. Un jour elle finira par louper son coup. La dernière fois qu’elle a pris des somnifères, elle a failli s’endormir avant d’appeler les pompiers.
- On sera tous morts avant, a prédit mon père.
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