Un personnage trop indépendant

Lassé d’écrire des romans d’amour, l’écrivain inventa Z, un personnage indépendant, instable, que rien ni personne n’émouvait. Il réussit tellement bien sa création que Z s’évada de l’histoire après quelques chapitres et ficha une belle pagaille dans tous les anciens romans de l’auteur. Les héroïnes se détachaient de leur prince charmant, succombant au charme de cette anguille qui, à peine caressée, leur filait entre les doigts. Ces idiotes refusaient ensuite de retourner vers l’âme sœur que l’écrivain leur avait octroyée, la jugeant trop fade, trop prévisible. Elles restaient suspendues au bord des pages, guettant le retour de Z. Mais Z ne revenait jamais en arrière. Il passait d’un roman à l’autre et l’écrivain le pourchassait vainement à travers les rayons de sa bibliothèque. Les outrages que Z infligeaient à la Littérature semblaient malheureusement irréversibles. Anna Karénine et Madame Bovary tombèrent en pâmoison devant lui, Pénélope se prostitua en attendant Ulysse, les Liaisons dangereuses devinrent d’une mièvrerie effroyable, les rares greluches de Houellebecq refusaient désormais de le sucer, et la plupart des romans s’arrêtaient après le passage de Z : leurs pages postérieures tombaient comme des feuilles mortes. L’automne de la Littérature pointait. A ce rythme, Z allait bientôt envahir le rayon philosophie et réviser le mythe de Platon. L’écrivain frissonnait devant le miroir, reflet du Dr Jekyll. Désespéré, il plaça les recueils de Balzac sur le chemin de Z. Le piège fonctionna : embourbé dans des descriptions interminables, Z mourut asphyxié d’ennui.


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