Putain de caractère

Elise avait ce qu’on appelle poliment un fichu caractère. Et plus crûment un caractère de chiotte, dixit son frère.

Depuis son enfance, sa mère lui répétait que jamais son prince charmant ne se montrerait. Peut-être apparaîtrait-il au détour de la rue, mais il ferait immédiatement demi-tour, horrifié, bousculant au passage la petite voisine si laide dont il tomberait amoureux sur le champ tellement il serait traumatisé. Plus sobre, son père lui prédisait un avenir de vieille fille acariâtre. Sa grand-mère déposait des cierges devant la Sainte vierge pour qu'elle daigne adoucir le tempérament d’Elise et lui trouver un mari. Son grand-père ne disait rien, fumant la pipe d’un air soucieux. Devant cet acharnement collectif, Elise se transformait en furie hululante et claquait toutes les portes avec une telle violence que toute la maisonnée raisonnait pendant des heures sur son cas.

La grand-mère emmena Elise voir un prêtre. La mère un médecin, puis un psy, un acupuncteur, un sophrologue, enfin une astrologue. Le père ne l’emmenait jamais nulle part, il craignait trop les crises d’Elise. Le grand-père préféra mourir tôt, pour ne plus supporter ce Big Bang permanent.

Elise s’en fichait, elle était certaine qu’un jour son prince viendrait, la comprendrait et l’emporterait sur son scooter d’acier gris métallisé. L’adolescence passa sans qu’il arrivât. Quand Elise eut vingt ans, elle s’impatienta : où était-il donc, ce crétin de prince charmant ? A vingt-cinq ans, elle avait écumé toutes les boîtes, tous les bars de la région. Il fallait se rendre à l’évidence : son prince était un gros nul pantouflard qui l’attendait devant sa télé. Elise devint VRP pour déloger son prince de son antre et terrifia des légions de clients. Las !

Le jour de ses trente ans, un inconnu la bouscula dans la rue et lui offrit des fleurs. Elise s’apprêtait à l’invectiver, mais ce regard, ce sourire… Il était enfin là ! Pourquoi l’avait-il ridiculisé auprès de son entourage en traînant des pieds pour la rencontrer ? Furieuse de ce manque total de considération, Elise l’envoya sur les roses.


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