Je ne saurais dire depuis combien de temps exactement je la cherche. Parce qu’il ne m’est pas apparu immédiatement qu’elle n’était plus là. Pourtant, j’aurais dû me douter qu’il se passait quelque chose d’étrange : je riais moins toute seule, je commençais à me grignoter des bouts de doigts. C'est au premier moignon que le soupçon m’a envahie. J’avais perdu quelque chose d’essentiel, mais quoi ? La mémoire, déjà, puisque je savais bien qu’il fallait que je le/la retrouve, mais de quoi s’agissait-il ? J’ai donc fouillé un peu partout, espérant les dénicher ensemble. Mais point. J’ai bien recouvré ma mémoire, recroquevillée sous un coin de drap, mais elle était seule, la garce. Au moins, je savais désormais ce que je cherchais. Mais où avait-elle bien pu passer ? J’ai regardé sous le lit, dans la penderie. Puis j’ai feuilleté les derniers ouvrages parcourus et mes écrits un à un : peut-être s’était-elle arrimé à une page ? Mais rien ! L’horreur m’a assaillie : égarée, ou définitivement perdue ? Je suis sortie, ai erré sur le macadam, les yeux fixés au sol, les pas chancelants. Avait-elle été écrasée par un passant désabusé ? Ou même volée ?? J’ai regardé mes voisins d’un air soupçonneux, mes amis, ma famille, tentant de deviner l’empreinte de mon bien dans leurs propos. Zut, j’avais mis des années à la fabriquer, pièce par pièce, avec un zeste de lucidité, un brin de cynisme et un rameau d’humour. Qui que vous soyez, rendez-moi mon bout de moi, hoquetais-je la nuit, la bouche mordant l’oreiller, sanglotant comme la dépressive qui sommeillait en moi. Ah, si elle avait été là, comment elle lui aurait réglé son compte ! Pif paf pouf, vaincue par K.O au premier round !

Mais où ai-je bien pu perdre ma dérision ? Pitié, ça devient carrément invivable, là-dedans !