Jouissif malheur

Le bonheur ou les instants de gaieté ne la touchaient pas, la laissaient sur le bas-côté du monde. Elle ne se sentait vivre que dans l’intensité de la souffrance, du drame, des pleurs. Son émotion était alors à son comble. Elle avait pour devise : « Souffrir, c'est exister ». Tenir une main crispée, serrer un corps recroquevillé la transcendait, traçait une ligne invisible avec tous les êtres qui, au même moment, étaient murés dans leur tourment. Elle savait repérer sur un visage inconnu la plus infime empreinte de détresse, qui l’attirait comme un aimant. Ses amis pouvaient toujours compter sur elle quand ils étaient dans l’affliction. Par contre, pour partager une bonne nouvelle, inutile de l’appeler, elle s’inscrivait en urgence aux abonnés absents.

Qui songerait à la plaindre ? Elle avait de la chance : les épreuves, déceptions, désillusions, catastrophes, chagrins étaient bien plus répandus que les moments fugaces de bonheur, où personne ne songe à courir chez un ami pour partager sa joie. Le bonheur est égoïste, se déguste en catimini, sauf quand il sert à rendre jaloux son prochain, ou s’éteint trop vite pour que le fortuné ait le temps d’exhiber sa joie. Tandis que le malheur, nettement plus expansif, se savoure longuement : l’infortuné dispose d’une longue échéance pour en faire profiter tout son cercle familial, amical, relationnel, voire des inconnus pris au hasard dans la rue.

Somme toute, elle affichait un bonheur parfaitement indécent, que jalousaient bien des envieux.


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