Le marginal


Il errait depuis des années dans ce centre immense, croisant sans cesse de nouvelles recrues. Le turn-over était incroyable, jamais il ne revoyait la même. Normal : il fuyait ses semblables, se terrait dans chaque recoin. Asocial, renfermé, il ne ressentait aucune envie de se mêler aux autres. Ces autres qui se fondaient en grappes, tournoyaient, s’agitaient, impatients d’être envoyés au service. A sa connaissance, jamais aucun n’en était revenu. Après chaque départ, des nouveaux étaient mis sur les rangs, prêts à charger dès que l’ordre en serait donné. Cela pouvait arriver à n’importe quel moment. Le plus souvent, c'était la nuit, mais pas toujours. De toute façon, là où ils étaient, ils n’avaient aucune conscience du défilement du jour.

Depuis longtemps, il avait été déclaré apte à partir. Mais il fonçait se cacher dès que l’alerte résonnait. C'est aussi pour cette raison qu’il évitait toute compagnie, par peur d’être coincé dans l’immense masse de ses homologues et de ne pouvoir fuir à contre-courant. Ensuite, il s’accrochait de toutes ses forces pour résister à l’extraordinaire pression. Sinon, il serait aspiré malgré lui à l’extérieur. Il n’était pas curieux de sortir, il avait compris qu’il n’était rien, juste un être parmi des millions d’autres dont la vie ne valait rien et qui serait sacrifié à une cause inconnue. Il ne voulait pas mourir.

Une fois de plus, l’alerte retentit. Quatre millions de spermatozoïdes moins un se placèrent en position, impatients de s’élancer dans la nuit noire.


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