Un idéal

Elle tombait invariablement amoureuse de types égoïstes, indifférents et discourtois. Un hommage à son père. Cette fois-ci, elle tenait à rompre la malédiction de répétition. Cuirassée de patience, elle s’escrima à civiliser son dernier modèle. A le modeler doucement en prototype de l’homme idéal, selon ses critères. Elle rêvait d’un compagnon prévenant, d’une épaule matelassée rehaussée d’une oreille attentive. Un challenge herculéen, mais elle n’avait que ça à faire, exerçant un métier aussi captivant qu’un paysage de la Beauce en novembre.

Elle s’attela à la rééducation avec courage. Au programme, une touche d’attention par ci, un brin d’affabilité par là. Elle lui apprit à sourire au réveil, à l’embrasser à d’autres moments que pendant l’acte sexuel, à ne pas faire les courses dans le seul but d’acheter sa purée mousseline et ses steaks congelés. Pendant la phase 2 de l’opération, elle lui enseigna la manière de se présenter inopinément chez un fleuriste et la façon la plus simple de tenir une casserole. Bien plus tard, elle lui vanta les mérites de l’ouverture d’esprit, du partage, de la complicité.

Quand la statue de sel fut enfin édifiée, elle contempla son chef-d’oeuvre avec fierté. En y regardant de plus près, elle découvrit une texture quelque peu affadie, des traces d’insignifiance. Contrariée, elle recula et tournoya autour de l’objet. Le procès fut sans appel : il fut condamné pour dépersonnalisation.


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