Disparition foudroyante

J'ouvre la porte et sens immédiatement que quelque chose n'est pas normal, à je ne sais quel infime détail. J'entre, pose dans un geste machinal les clés sur le chiffonnier à côté de la porte. Elles tombent à terre : le meuble a disparu. Dans le salon, un fauteuil et la table basse manquent à l'appel. Le verdict tombe : cambriolage. Avec main basse sur la chaîne hi-fi, le lecteur DVD. Les rayonnages de la bibliothèque semblent plus aérés, je m'approche, la rage monte : disparition de Bukowski, Fante, Houellebecq, et bien d'autres. Du côté des CD, peu de rescapés. Bien entendu, le voleur n'aime pas les cassettes vidéos. Ecoeurée, je vais dans la cuisine me servir un verre. Et constate l'expatriation du four et d'une partie des assiettes. Le réfrigérateur soupire : trop vieux pour l'exil. Dans la chambre, un placard est ouvert, vide. Etrangement, je ne me souviens plus de son contenu. Je m'écroule sur le lit, tend la main vers le téléphone. Sur l'oreiller, une lettre. Quelle délicatesse chez ce cambrioleur, il va sans doute s'excuser d'avoir les mêmes goûts littéraires, musicaux, cinématographiques? M'annoncer délicatement qu'il m'a quand même laissé quelques chef-d'oeuvres ? J'ouvre. Deux lignes à peine : « Je te quitte. J'ai emporté mes affaires, sauf la plaque électrique, sinon tu mangerais froid. Je t'enverrai les clés ».

Quelle étrange sélection tisse la mémoire. Je me souviens de chaque livre, du dessin de chaque assiette disparue, mais aucune trace de celui qui m'a écrit et avec qui j'ai vécu.


Un commentaire ?