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Officine de séduction
A peine assise, je lui jette mon plus grand sourire en pleine face. Il en reste pantois, l'oeil rouge vif. Premier round en ma faveur. J'ai décidé d'attaquer sauvagement dès que je l'ai aperçu à cette table plantée au milieu du restaurant. Je ne lui laisse pas le temps de me détailler, je lui sers le grand jeu d'emblée, savamment concocté devant mon miroir. Rafale de regards de braise, canonnade de minauderies enjôleuses en revers, air décontenancé en retour. Signal d'alarme, je me calme. Descendre la pression de trois niveaux, la remonter en douceur, il serait capable de me claquer entre les mains. J'en frémis de désappointement.
Je l'observe gentiment, tandis qu'il tente de se concentrer sur le menu. Costume à la dernière mode, voire à l'avant-dernière, allure un brin ranci, expression faciale délavée, jaunie, brouillée par l'inconsistance de sa vie. Ma motivation s'effondre d'un coup, château de sable dévasté par une vague. Trouver d'urgence l'interrupteur pour la rallumer.
Son regard enlacé au mien quand il me déshabillera, doucement, lentement. Ses lèvres se posant au creux de mon cou. Premiers frissons d'anticipation.
Je superpose cette image à celle de l'inconnu qui passe commande. Sa voix est la même qu'au téléphone, grave, légèrement traînante. Il ose enfin me dévisager. Je l'interroge, délicatement, avec la précaution d'un dompteur de cachalots. Sur son métier, son passé, ses loisirs, ses envies. Je m'ennuie ferme, mais je ne le quitte pas des yeux, à l'affût d'une expression qui m'autorise à passer la deuxième vitesse.
J'ai oublié la règle numéro un.
Ne pas mener la danse, laisser l'autre croire qu'il la conduit. L'orienter subtilement vers l'arène. Lui offrir le plaisir de porter la première salve. Répondre d'un air coquet, faussement embarrassé. Bref, se laisser séduire.
Sauf qu'à ce rythme, le feu d'artifice du 14 juillet ne sera programmé qu'en décembre de l'année suivante.
Ses doigts, légers, galopant sur ma peau. Sa langue, impudique, en quête des collines et des vallées radieuses. Nos corps, magnétisés. Sarabande endiablée.
J'opte pour une autre méthode, qui a fait ses preuves : se mettre à sa portée tout en accélérant le processus. J'adhère à ses croyances, compatis à ses tragédies antérieures et glousse du bas-ventre quand il croit lancer un mot d'esprit. Le poisson s'approche dangereusement de l'hameçon.
Mes mains attachées, pour m'offrir tout entière à sa concupiscence effrénée, me soumettre à ses désirs les plus indécents.
Allumage de la fusée. Je me penche dans un faux-mouvement maladroit, mon décolleté se conformant aux lois de la gravité, proposant bien mieux qu'une banale esquisse de la naissance de mes seins. Je rougis de confusion, tapotant discrètement mon chemisier. Regard incandescent de l'équipe adverse. Mise à feu réussie.
Le ventre ondoyant sous la promesse de caresses infinies, je me tourne, triomphante, vers mon mari, à deux tables de là. Sa prunelle électrisée me confirme mon succès. Son désir, émoussé, vient de ressusciter. Cette nuit, il sera plus déchaîné que jamais.
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