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La pendulette
Il aimait errer dans les brocantes à la recherche de vieux souvenirs à inventer. Il s’arrêtait devant un étal, caressait une machine à écrire des années Trente, un bibelot kitch, une statuette, rêvant à leur passé. Il achetait rarement, sauf si l’objet stimulait ses trois dimensions essentielles : le visuel, le toucher, l’imaginaire.
C'est ainsi qu’il tomba amoureux d’une pendulette. Celle-ci était dotée d’une qualité supplémentaire qui le laissait indifférent mais ravirait sa femme : elle fonctionnait encore.
Il l’installa sur son bureau. Son tic-tac bruyant aurait exaspéré n’importe qui, mais il le berçait dans ses songeries, quand il s’isolait dans la pièce pour lire, méditer, somnoler.
Mais elle ne rythma pas ses heures de quiétude très longtemps. Elle s’arrêta après deux semaines, en plein milieu d’un après-midi, à 16h23. Il s’en aperçut quelques minutes plus tard : il manquait quelque chose, ce doux ronronnement du temps qui s’ébat. Il la prit, la remonta, puis l’ouvrit, étudiant le mécanisme. Il l’emmena chez un horloger, qui la déclara en parfait état de marche. Malgré tout, la pendulette refusa obstinément de se remettre en route. Il n’insista pas, elle lui plaisait toujours autant.
Quelques années passèrent. La pendulette restait sur son bureau, fidèle à leurs rendez-vous quotidiens. Chaque jour il la regardait amoureusement, effleurait son vieux bois, humait son odeur du passé.
Un après-midi, il ressentit une violente douleur à la poitrine et s’effondra. Il voulut appeler au secours, mais il suffoquait. En portant sa main à sa gorge, il vit l’heure à sa montre : 16h23. Il s’éteignit en entendant un bruyant tic-tac.
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