Education conjugale


Elle avait déjà éduqué plusieurs hommes : elle avait permis au premier d’avoir davantage confiance en lui, au deuxième d’être moins égoïste, au suivant d’affronter ses angoisses, et ainsi de suite. En général, elle les aidait à régler leurs problèmes psychologiques, à combler les fissures de leur enfance. En un mot : à grandir.

Elle aurait été ravie de faire ainsi preuve d’utilité s’ils ne s’étaient pas acharnés à la quitter dès qu’ils allaient mieux. Pour une autre, bien sûr, tombée en pâmoison devant un homme si bien dans sa peau, si serein, si équilibré, si mature, si… Les adjectifs fleurissaient comme des rhumes de foin au printemps. Bref, elle les métamorphosait en surhommes. Les rendait aptes au service conjugal. Elle était le dernier rempart avant leur mariage.

Devant cette hécatombe, elle espérait à chaque rupture qu’en ce moment-même, une femme oeuvrait à former son futur mari. Après tout, c'était peut-être le destin commun, rassurer les hommes, les aider à s’affranchir de leurs handicaps pour qu’ils s’envolent vers une autre. Mais point de réciprocité. Ou alors toutes ces épouses avaient échoué dans leur fonction. De quoi porter plainte. Car elle ne fréquentait que des divorcés, des séparés, des veufs, des expérimentés. En vain. Ils ressemblaient à des chantiers en déperdition, n’attendant qu’elle pour les rénover.

Cette fois, c'était fini. Celui-là, elle ne tenait pas à l’éduquer pour le bénéfice d’une autre. Surtout ne rien changer en lui, le laisser en l’état, le regarder croupir dans ses angoisses. Quitte à se nécroser en sa compagnie.


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